La Dépêche du Midi a publié le 14 octobre l'article ci-dessous dont on vous recommande la lecture.
Jérôme Savary a retrouvé sa maison des Corbières à Cave-de-Treille près de Fitou. Seuls, dit-il, «les pleurs de ses bébés» viennent troubler son travail d'écrivain, mais c'est peu de chose comparé à l'agitation qui s'est produite ce week-end à Odyssud-Blagnac. Il y a bien eu échanges d'invectives entre les intermittents et le célèbre metteur en scène à l'occasion des représentations du spectacle « Chano Pozzo, un Cubain à New York » et des gestes d'énervement sur scène ou au bar. La version de l'incident diffère selon l'interprétaution des intermittents ou de la direction de la salle, et le moins que l'on puisse dire, c'est que le climat ne s'est pas radouci entre Jérôme Savary et les intermittents du spectacle depuis le festival de Carcassonne. Même si «l'heure est à l'apaisement», assure ce dernier, en ajoutant : « Je ne suis pas un procédurier. Je préfère me consacrer au théâtre. » Cependant le metteur en scène réitère sa menace : « Si on continue à me calomnier je porterai plainte».
Andrée Brassens.
« Je ne souhaite pas envenimer un débat qui me semble stérile. En s'en prenant à un artiste, sous le seul motif qu'il n'était pas d'accord avec leurs méthodes (l'interdiction par la force d'un spectacle), les intermittents de Toulouse et de Carcassonne se trompent de cible. Je suis un artiste et un créateur. Je préfère utiliser mon temps à exercer mon métier, plutôt qu'à guerroyer contre des gens, dont beaucoup, par ailleurs, sont mes frères. J'écris en ce moment un Dictionnaire amoureux du spectacle (1) où j'écris sous le mot intermittents: Le système d'indemnisation chômage pour les intermittents du spectacle français était si favorable dans les années 80-2003 qu'il fallait être un imbécile pour ne pas vouloir le conserver. Aucun pays au monde, même dans ses rêves, ne défendait avec autant de tendresse les travailleurs du spectacle. Mais certains comme moi (qui n'ai jamais touché un centime de chômage en quarante ans de carrière), ainsi que Chéreau et Mnouchkine par exemple, qui nous sommes faits à la force du poignet à une époque où on attendait plus du public que de l'État, ont trouvé indécentes les manifestations de l'été 2003. Elles ont abouti à l'annulation du plus grand festival de théâtre du monde : le festival d'Avignon.
Avec toutes les conséquences économiques afférentes, pour les artistes comme pour les festivaliers et les commerçants d'Avignon.
Ensuite, quelque soixante-huitard qui n'ont pas grandi (c'est le cas de le dire puisque nous étions en 2OO3 !...) ont établi une liste noire des artistes à interdire de travailler parce qu'ils ne pensaient pas comme eux. Des commandos d'intermittents cagoulés (le bâillon est aussi efficace que la cagoule quand on veut agir incognito) ont envahi les scènes pour empêcher les spectacles de certains d'avoir lieu. J'étais avec Chéreau, Mouchkine et Bartabas sur cette liste. C'est ainsi que je fus, par la force, empêché de jouer au Festival de Carcassonne. L'action de ces artistes égarés (jamais un artiste digne de ce nom n'empêchera un autre artiste de s'exprimer) me rappela alors étrangement l'époque de MacCarthy, noire période pour les artistes américains.
Dans ces sombres années cinquante, parce qu'ils avaient des sympathies procomunistes, certains étaient victimes de cette chasse aux sorcières, et, réduits au chômage pendant des années, sans assedic, bien sûr !
Victime de menaces et d'intimidations directes, j'ai envisagé en 2003 de changer de nom pour pouvoir continuer à travailler paisiblement du côté de Toulouse et de Carcassonne. J'ai bien sûr gardé mon nom et n'ai pas hésité, courant 2OO3, à braver ces militants égarés, en allant jouer à Toulouse, devant des salles combles.»
(1) A paraître aux éditions Plon en février.
A travers la voix de Noémie Letily, Marie-Pierre Genard, Michel Monestes et Philippe Lacomblez, les intermittents, interpellent le metteur en scène : « Monsieur Savary, vous confondez trop rôle public et position personnelle. C'est la racine des dérapages qui peuvent survenir dans vos spectacles. Nous avons voulu calmer le jeu, malgré vos imprécations insultantes. Pour Chano Pozzo, il n'y a pas eu d'intervention des forces de l'ordre à Odyssud pour les cinq représentations, ni d'altercation ou bousculade avec les cubains, ni avec votre enfant. Vous n'avez pas été insulté, nous avons seulement rappelé les faits de Carcassonne dont vous êtes oublieux.
Quant aux méthodes "fascistes" dont vous parlez, vous avez prouvé à qui elles appartenaient : à vous, qui coupez les micros, qui chauffez la troupe contre nous, et qui n'acceptez pas d'un soir à l'autre nos mêmes textes lus en direct ou enregistrés.
Une attitude de matamore n'implique pas qu'on ait raison. Une attitude combative comme la vôtre n'implique pas une adhésion des "masses" et du public que vous méprisez si profondément. Nous avions décidé de laisser le spectacle de cette troupe se dérouler sans perturbations, après exposé de nos positions. Nous n'adopterons pas votre attitude : prendre ces artistes en otage, et aussi le public qui vous a personnellement hué, et c'est heureux. Quant au soutien au mouvement des intermittents évoqué dans votre texte enregistré et diffusé au public, quant à votre présence à nos côtés pour combattre ce protocole, nous ne les trouvons pas dans votre position réelle et affirmée. »
Le directeur d'Odyssud Blagnac, Emmanuel Gaillard revenant sur les tensions entre les intermittents et Jérôme Savary fait observer : « Il y avait dès le départ une importante animosité de part et d'autre et le risque d'un règlement de comptes. La situation d'Odyssud était délicate et c'est pourquoi nous avons cherché à trouver un accord qui donnait la parole aux deux parties, sous forme de message enregistré au début du spectacle. Les conditions étaient de respecter le mode non diffamatoire. Pour reprendre le déroulement des faits, le jour de la première une trentaine d'intermittents sont montés sur scène et puis ils ont laissé le spectacle se dérouler en signe de solidarité envers la troupe cubaine. Il n'y a pas eu d'incidents, juste quelques sifflets produits par l'un des intermittents. Pas le jeudi. Le vendredi, le technicien son de la compagnie cubaine ne diffuse pas le message des intermittents. Ce message rappelait les événements de Carcassonne. Il coupe une partie du message de Jérôme Savary relatif aux mêmes faits. Samedi en réaction, cinq intermittents montent sur scène. Les musiciens cubains manifestent leur désapprobation. Dimanche, Jérôme Savary prend la parole et s'en prend aux intermittents qu'il qualifie de fasciste. Enfin, il ajoute des propos diffamatoires à mon encontre, indiquant, que j'aurais mis en danger sa troupe, sa femme, et sa fille de 3 ans en laissant monter les intermittents sur scène. Ces propos ont suscité une bronca dans le public. Il est à noter qu'aucun incident violent n'est à déplorer. »